Hello.
Je te partage ici une partie intime de ma vie dont j’ai très rarement parlé. Si le sujet des abus homme/femme est inconfortable pour toi, tu peux refermer cette lettre.
Quand j’avais 18 ans,
à 6 mois d’intervalle, deux hommes beaucoup plus âgés que moi, c’est à dire qui avaient réellement l’âge d’être mon père (l’un d’eux a d’ailleurs été considéré comme longtemps un de ses meilleurs amis, il m’a vu grandir, je l’ai toujours connu et considéré comme faisant partie de la famille) ont trouvé ça tout à fait normal de m’offrir de coucher avec moi. Le meilleur ami en question proposant ses services pour me dépuceler car à 18 ans, ce n’était pas normal d’être encore vierge.
Ces deux hommes ont agis dans des moments où je me sentais extrêmement vulnérable et où je n’avais pas vraiment d’échappatoire physique possible.
Par « chance », ils n’ont pas forcé un refus.
Ils n’ont donc pas abusé de moi physiquement (alors de quoi se plaint-elle?)
Moralement, émotionnellement, énergétiquement, c’est une autre histoire.
J’ai mis des mois à oser en parler, je me sentais coupable.
De fait, tout le monde à continué à faire comme si tout était normal. Je ne me suis sentie ni vue, ni entendue.
Alors, ça devait être normal.
J’ai mis un couvercle par dessus et continué ma route.
J’ai laissé très très très peu d’hommes approcher.
Plus tard, il y a une dizaine d’années,
une femme facilitatrice d’un espace dans lequel j’avais exploré le mouvement m’a dit « tu es extrêmement dangereuse si tu n’as aucune idée de l’effet que tu fais aux hommes ».
Dans cet espace, quelqu’un m’avais plu et je venais de partager avec elle tout l’inconfort irrationnel que ça avait fait remonter.
Donc en plus de ça, j’étais dangereuse...une décennie de célibat se dessinait devant moi.
Car non, je n’ai aucune idée de l’effet que je fais aux hommes. Parce que je me suis sentie pour la pluspart de ma vie mal dans mon corps, je ne me suis jamais sentie belle (et encore moins à 18 ans). Je n’ai jamais eu l’impression de jouer de ma féminité, de mes capacités de séduction.
J’ai souvent été dans le clan de la bonne copine, ce qui m’a valu de magnifiques relations avec mes amis hommes et une paix royale dans le monde professionnelle (j’imagine que j’avais tracé autour de moi un cercle de feu : si tu rentres, tu en prends une).
Quelque chose dans la séduction, dans le désir me terrifie depuis toujours. Un truc un peu incontrôlable, alors j’ai mis cette partie de ma vie entre parenthèse, je me suis consacrée à moi ces 10 dernières années.
Sauf qu’à un moment,
il m’a semblé que le prochain pas sur le chemin vers moi-même allait passer par la confrontation dans le miroir tendu par l’autre.
Cet été, j’ai rencontré un homme qui m’a plu...ça a commencé à remuer beaucoup de choses en moi. Des cauchemars qui sont revenus, un sentiment d’urgence que je pensais avoir dépassé…que j’ai essayé de contrôler en laissant le temps au temps (la patience n’est pas ma plus grande qualité, je te l’ai peut-être déjà dit).
Puis il s’est passé autre chose: un dimanche où j’étais particulièrement de bonne humeur, j’ai parlé à un client avec qui je n’avais jamais osé parler parce que quelque chose en lui me gênait.
Il est revenu le jeudi suivant en me disant qu’il avait beaucoup repensé à notre conversation et qu’il voulait en savoir plus.
Là, j’ai commencé à me sentir pas très à l’aise, mais je me suis tout de suite dit « ça va, pète un coup, le mec veut juste parler »...avec un mélange de « Pour qui tu te prends ? Tu te crois irrésistible ou quoi » ?
J’ai donc discuté avec lui, la distance sécurisante du bar entre nous.
Dans la conversation ont commencé à apparaître des mots, des notions qui m’ont fait me sentir encore plus mal à l’aise. Des petites réflexions faites à une personne qui avait pris part à notre conversation :
- « Elle est atypique »
- « Là, elle va rougir parce qu’elle est timide »
- « Il revient toujours un moment où tu fais ce geste ».
Je me suis sentie observée, scrutée, détaillée.
Et au moment de partir, il m’a dit « Je ne reviens pas demain parce que je ne peux pas, mais samedi...on a effleuré seulement cette conversation ».
Et là, c’est comme si on avait déclenché une fusée de détresse dans mon corps. J’avais l’impression d’avoir un gyrophare sur la tête MAYDAY MAYDAY me hurlait mon corps.
Et mon mental m’a resservi « Non, mais arrête tes conneries, ça va ».
J’ai essayé de me résonner pendant 2 jours, écris, essayé de nouvelles pensées. Sauf que je me suis bien rendue compte le samedi que je me sentais comme un porc-épic : le premier qui s’approche à moins de 2 mètres, il prend une décharge (Est-il utile de préciser que le mec qui lui me plait est justement passé ce jour là???)
Le client déclencheur est passé. Je me suis sentie partir en vrille, terrifiée...je me suis réfugiée dans un genre de neutralité/passivité/agressive. J’avais honte, envie de me cacher. J’ai passé 24h les larmes aux bords des yeux, des courants électriques me parcourant le corps.
Et lundi, j’ai pris rdv avec une thérapeute.
Pourquoi je te raconte ça ?
Pour 2 raisons :
La puissance des traumas et la place de la femme dans notre société, encore en 2022.
Je vais commencer par la seconde partie.
J’ai écris cette lettre comme un hurlement...je l’ai laissé reposer 24h et me suis demandé ce que j’avais envie de te dire réellement, pourquoi elle sortait aujourd’hui.
Je pense qu’il n’y a pas de hasard…
En ce moment, les actualités nous rappellent combien la liberté, la vie des femmes est menacée à chaque instant...certes, dans d’autres pays...et en France, combien de femmes sont mortes sous les coups d’un homme depuis le début de l’année ? (79 au 3 septembre)
Avant hier, encore, je lisais que LinkedIn des hommes réfutant les chiffres du nombre d’agresseurs potentiels « pas tous les hommes »….non, pas tous les hommes ne sont des violeurs. Combien ont des gestes ou des paroles déplacé.e.s ?
Au delà de ça, nous en sommes encore à devoir nous justifier d’avoir peur, d’être susceptibles.
Ce que je perçois aujourd’hui, c’est qu’en tant que femmes, nous sommes porteuses de mémoires. Mémoires de nos plus jeunes années que nous avons occultées, où, même s’il n’y a pas eu d’agression physique, il y a pu en avoir une morale, ou émotionnelle. Mémoires sur lesquelles on a gentiment remis le couvercle pour ne pas faire de vagues, parce que parfois c’était beaucoup plus confortable pour nous aussi.
Mémoires de nos lignées : porteuses de l’abus des hommes sur les femmes depuis des générations.
Mémoires de nos vies passées si tu es prêt.e.s à aller jusque là.
Alors, non, tous les hommes ne sont pas des agresseurs en puissance, et pourtant, oui, ils peuvent déclencher un truc, une réaction en nous qui nous fait voir rouge, tirer la sonnette d’alarme, parfois surréagir.
Oui.
Comment on se sort de cette merde ? Comment on avance ensemble ?
Je ne détiens aucune vérité, tu vois, j’avance pas à pas. Je te partage simplement mon expérience.
Les quelques pistes qui me viennent à l’idée sont :
- En en parlant : en libérant la parole de la femme encore plus et en lui faisant de la place dans la société
- En arrêtant de nier et en écoutant, enacceptant la réalité de l’autre (ce qui est mon point de vue en toute circonstance : nous avons chacun.e notre réalité).
- En se parlant entre genre : en osant parler aux hommes autours de nous, échanger, s’écouter mutuellement.
- En osant montrer notre vulnérabilité.
- En osant reconnaître chacune notre parcours, les endroits où oui, nous avons pu nous sentir blessée, en danger par un homme...c’est parfois le plus difficile…et parfois tu n’as pas été blessée sur ton parcours de femme, et c’est merveilleux!!
- En osant reconnaître là où cette blessure nous a conduit à avoir un comportement inadapté avec un homme, perpétuant ainsi la violence et l’incompréhension.
- Encore une fois, en en parlant avec les hommes autour de nous, en osant ouvrir notre cœur et nos émotions.
- En réalisant le travail de guérison : pour nous, pour l’ensemble des femmes. C’est par la guérison individuelle que passera la guérison collective de mon point de vue
Je ne veux pas m’enfermer dans un mode victime, ET il est utile pour moi de me reconnaître victime à un moment de mon chemin.
Ensuite, je reprends mon pouvoir et décide de transcender cette expérience, d’en apprendre ce qu’elle a à m’apprendre.
ça fait un peu plus de 25 ans que j’avais refermé ce cahier et rangé bien là-haut sur l’étagère oubliée, je suis en train de l’ouvrir de nouveau.
Pour mieux comprendre qui je suis, pour mieux savoir où je vais.
Il ne s’agit pas que de mental dans cette histoire (je t’en parlerai la semaine prochaine).
Un pas de plus sur le chemin vers moi est un pas de plus sur le chemin de ma liberté.
Je t’envoie de la douceur...si cette lettre résonne, réveille quelque chose en toi et que tu souhaites le déposer, tu peux le faire ici en commentaire ou en répondant par email si c’est plus confortable pour toi.
Comme me l’a rappelé Sofia (Oui, quand on est dans le creux de la vague, on à tout.e.s besoin d’une personne extérieure pour nous aider à y voir clair;) ) : tout est légitime, ce que tu ressens est légitime.
Je t’envoie de la douceur.
Juste merci pour tes mots et de t'être exprimée.
Un grand merci pour ces mots Marion. Les miens n'arrivent toujours pas à sortir. Les tiens m'ont fait du bien.